Hélium superfluide et pressions négatives

 

 

L’hélium-4 liquide à basse température est un matériau modèle pour la physique de la matière condensée pour deux raisons. Premièrement, les interactions atomiques sont faibles et les effets quantiques jouent un rôle important à l’échelle macroscopique. Deuxièmement, l’hélium-4 liquide peut être obtenu avec une pureté remarquable. Lors de la préparation d’un échantillon de d’hélium-4 liquide dans une cellule expérimentale, les impuretés atomiques ou moléculaires autre que l’hélium sont gelées le long de la ligne de remplissage de la cellule ou sur les parois de la cellule elle-même. On s’attend alors à ce que les propriétés intrinsèques du liquide puissent être étudiées sans être modifiées par la présence d’impuretés. En particulier, l’hélium-4 liquide est un système permettant de sonder en profondeur les états métastables de la matière condensée et d’espérer y étudier les phénomènes de nucléation homogène, c’est-à-dire non assistée par des impuretés du liquide.

 

Dans les années 1990-2000, de belles expériences devenues célèbres dans la communauté ont permis de créer des états métastables de l’hélium liquide en y focalisant une onde sonore intense. Ce faisant, on parvient, pendant les phases de décompression de l’onde, à porter le liquide à des pressions inférieures à la pression de vapeur saturante, il est alors dans un état métastable. Pour des intensités acoustiques suffisantes, le liquide se déstabilise et une bulle apparaît au foyer acoustique : c’est la cavitation. Des travaux théoriques ont permis d’estimer la pression à laquelle la cavitation apparaît. Les mesures s’avèrent en revanche extrêmement difficiles à réaliser, en raison de la fragilité des états métastables. Les estimations faites à partir des expériences des années 2000 suggèrent que la pression de cavitation à une température de 1 K est négative, aux alentours de –9 bar et que la nucléation est bien homogène. Le concept de pression négative peut surprendre mais se comprend aisément en imaginant un fluide réel contenu dans un récipient. Lorsque les particules du fluide poussent sur les parois du contenant, la pression du fluide est positive, lorsqu’elles tirent dessus, elle est négative !

Durant la thèse de Lionel Djadaojee, nous avons développé un spectromètre Brillouin nous permettant de mesurer la compressibilité d’un liquide sur des échelles spatiales de l’ordre de 20 µm et temporelles de l’ordre de 200 ns. Cela nous permis de mesurer la compressibilité des états métastables de l’hélium-4 produits par les méthodes acoustiques précédemment décrites. Combinées à des mesures interférométriques de densité effectuées au sein du groupe il y a quelques années, ces mesures permettent de remonter à la valeur de la pression au seuil de cavitation.

Les résultats publiés récemment dans la revue Physical Review Letters remettent en question les précédentes estimations de la pression de cavitation et suggèrent que, dans ce type d’expérience, la nucléation pourrait en fait être hétérogène. Les vortex quantifiés du superfluide y joueraient le rôle de défauts quantiques au niveau desquelles les bulles de cavitation sont créées.

Brillouin Spectroscopy of Metastable Superfluid Helium-4
Lionel Djadaojee et Jules Grucker
Phys. Rev. Lett. 129, 125301
https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.129.125301