L’atmosphère des années cinquante

Avant de continuer la suite de l’histoire, on peut essayer d’évoquer rapidement les conditions de travail et l’atmosphère de la vie du groupe dans ses premières années d’existence.

Les conditions matérielles restaient encore marquées par le retard des quatre années de guerre et d’occupation, suivies par une reconstruction de plusieurs années, dans laquelle, les moyens financiers de l’Etat s’investissaient en priorité. En dehors des générateurs de fréquence américains évoqués plus haut, on travaillait encore avec les anciens appareils de mesure aux boîtiers ronds en laiton, caractéristiques des fabrications d’avant guerre, et avec les pompes à diffusion en verre (mais très efficaces), qui resteront longtemps sur le banc de pompage (et de remplissage des cellules d’expériences) de Brossel. La peinture noire et le carton noir étaient des matériaux essentiels de nos montages d’optique, parfois aussi les bouts de ficelles ; et on utilisait des galvanomètres à cadre mobile, muraux, sans doute un peu « vieux jeu », mais très sensibles pour mesurer les faibles courants des détecteurs photo- électriques. Les techniques modernes de l’électronique avaient commencé d’envahir le groupe voisin de physique des solides, dirigé par Pierre Aigrain ; et elles diffusaient lentement vers le groupe Kastler, conduisant à l’utilisation d’enregistreurs X-Y, puis d’oscillographes, voire de détections synchrones.


Mais ces conditions mêmes étaient pour nous, les « diplômitifs » ou thésards de l’époque, un stimulant extraordinaire. Nous avions conscience d’être attelés, sous la direction de nos maîtres, à une véritable reconstruction de la physique française sinistrée. Et certes le travail collectif de notre génération et des suivantes ne semble pas avoir été vain lorsqu’on compare la situation des années cinquante à celle d’aujourd’hui (on peut penser que les désignations successives des trois prix Nobel français des années quatre-vingt-dix sont un signe du niveau international atteint par les équipes de recherche françaises, sans rien enlever aux mérites personnels et à la considération que nous avons pour les trois récipiendaires).


Plus spécifiquement dans le groupe Kastler, on notera l’atmosphère familiale et la solidarité dues au petit nombre de ses membres sans doute, mais aussi à la complémentarité et la complicité de ses deux responsables qui collaboraient en dehors de tout esprit de concurrence ou de compétition. Kastler fonctionnait davantage sur le registre des questions de principe, de la curiosité et de l’imagination. Brossel lui, était plus sensible aux problèmes concrets et aux possibilités pratiques de réalisation, avec une clairvoyance très efficace ; c’est lui qui nous encadrait de près dans le quotidien de la technique ou des calculs quantiques ; mais surtout, c’est son intuition physique remarquable qui permettait d’interpréter nos expériences et les guider dans tous leurs développements. Kastler restait aussi proche de nous et il pouvait à certains moments du développement d’une expérience, passer la tête chaque jour dans l’entrebaillement de la porte pour s’enquérir des progrès du jeune chercheur dans sa traque d’un signal capricieux. Les longues heures passées à suivre la danse du spot derrière nos galvanomètres étaient largement payées lorsqu’un résultat marquant suscitait la joie conviviale de toute la « famille ». La complicité des deux responsables n’excluait pas parfois leur désaccord ; et il arrivait que certaines expériences soient suivies de beaucoup plus près par Kastler parce que Brossel n’avait pas voulu ou pas pu s’y intéresser.


C’était aussi une époque où la semaine anglaise de cinq jours n’était pas encore généralisée en France et les séminaires du groupe se tenaient régulièrement le samedi matin, dans une atmosphère plus décontractée, peut-être, par la perspective d’un après-midi libre (on n’allumait pas les manips pour une seule demi-journée). Il a bien fallu par la suite, déplacer le séminaire à un autre jour pour s’adapter à une évolution des moeurs inévitable, mais qui ne fut pas comprise immédiatement par la direction du groupe. Il faut noter qu’à la même époque le séminaire général du département de physique se tenait en semaine, mais un soir après le dîner à 20h30.


 

La fin du XXe siècle

La fin du XXe siècle

Pour l’exactitude de l’histoire, il faut mentionner la date de 1972 marquée par la retraite du directeur de recherche au C.N.R.S. A. Kastler. Mais comme il continuera à fréquenter assidûment le laboratoire…

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La croissance du groupe dans les années soixante

La croissance du groupe dans les années soixante

Il faut se souvenir qu’à cette époque la quasi-totalité des supports financiers existant pour préparer la thèse d’état (en tant que stagiaires de recherche CNRS ou d’assistants d’université) étaient temporaires et sans promotion possible…

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L’atmosphère des années cinquante

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Les premiers thésards

Les premiers thésards

A l’automne 1953, Jacques Blamont revient au laboratoire pour la thèse, (il avait commencé, comme « diplomitif » avec la photométrie crépusculaire du sodium, un sujet relevant de la première partie de la carrière de Kastler…

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