De la lumière liquide dans les vapeurs atomiques

Des physiciens du Laboratoire Kastler Brossel (ENS/CNRS/SU/CdF) viennent de réaliser un nouveau dispositif expérimental permettant d’étudier la « lumière liquide », un phénomène où la lumière se propage de manière analogue à un superfluide. Ce dispositif repose sur l’utilisation d’une vapeur atomique, et contrairement aux travaux sur des systèmes solides, il serait donc possible d’y insérer des obstacles matériels afin de mesurer directement les forces exercées par la lumière.

Dispositif expérimental pour étudier la propagation de la lumière liquide dans les vapeurs atomiques.

L’interaction entre un faisceau laser et un milieu optiquement non-linéaire produit une onde qui mélange intimement lumière et excitations de la matière. Cette onde a une propagation supposée analogue à celle d’un superfluide, d’où le nom donné à ce phénomène de « lumière liquide » qui est devenu un sujet de recherche très actif ces dernières années. Si les chercheurs arrivent maintenant à caractériser la propagation de ce fluide, il manque toujours la preuve directe d’un comportement « superfluide » qui serait de montrer que la force qu’elle exerce sur un obstacle est nulle. Cette difficulté, impossible à surmonter dans les réalisations expérimentales utilisant des milieux solides, vient d’être levée par des physiciens du LKB dans une étude publiée dans Physical Review Letters.

Les chercheurs viennent de mettre au point un dispositif où la « lumière liquide » se propage dans une vapeur atomique d’atomes de rubidium dont la densité peut être contrôlée. En ajustant la fréquence de la lumière et la densité du gaz dans la cellule, il est possible de contrôler précisément la force des interactions entre photons. Ils ont ainsi mesuré la relation de dispersion des ondes se propageant dans ce milieu non-linéaire ; c’est-à-dire la vitesse à laquelle se propagent des excitations élémentaires. La relation de dispersion obtenue passe d’un régime linéaire à quadratique lorsque le vecteur d’onde augmente. Ce type de dispersion, connu sous le nom de relation de dispersion de Bogoliubov, se rencontre dans différents systèmes physiques, des condensats de Bose-Einstein à l’hélium superfluide. Ce résultat n’a rien de fortuit puisque des équations analogues décrivent la dynamique temporelle d’un condensat de Bose-Einstein et la propagation de la lumière dans un milieu non-linéaire.

Relation de dispersion des ondes se propageant dans la lumière liquide.

Ce nouveau dispositif devrait permettre de placer des obstacles matériels dans l’écoulement du fluide et surtout de mesurer les forces qui sont exercées sur ces obstacles. Ces résultats ouvrent la voie à de multiples applications dont la possibilité de mesurer directement les forces exercées par la lumière liquide sur des défauts matériels ; et ainsi de tester le caractère « superfluide » de cette propagation.

Auteur correspondant : Tom Bienaimé
Publication : Observation of the Bogoliubov Dispersion in a Fluid of Light, Q. Fontaine, T. Bienaimé, S. Pigeon, E. Giacobino, A. Bramati, and Q. Glorieux, Phys. Rev. Lett. 121, 183604 (2018).