Des chats de Schrödinger pour mesurer le champ électrique d’un électron unique

Des physiciens viennent de réaliser un électromètre ultrasensible qui repose sur l’utilisation d’atomes excités portés dans une superposition d’états de type « chat de Schrödinger. » Ces superpositions élusives, qui sont depuis plus de 80 ans au centre de nombreux débats sur les fondements de la physique quantique, commencent ainsi à être utilisées dans des dispositifs appelés à avoir des applications pratiques.

Il est aujourd’hui possible de détecter la présence d’un seul électron dans un circuit électronique miniaturisé. Cela reste toutefois un défi expérimental car le dispositif utilisé – le transistor à électron unique – doit être incorporé au circuit dès sa conception et ne fonctionne qu’à des températures de quelques fractions de Kelvin. Des physiciens du laboratoire Kastler Brossel (LKB, UPMC/ENS/CdF/CNRS) viennent de développer une nouvelle approche qui repose sur l’utilisation d’atomes très excités, dits atomes de Rydberg, placés dans une superposition quantique d’états connue sous le nom de « chat de Schrödinger ». La sensibilité de ces mesures est comparable à celle des transistors à électron unique, tout en étant beaucoup moins invasive, et nécessite des températures cryogéniques beaucoup moins contraignantes. Le dispositif actuel permet de détecter en une seconde un champ électrique de 3 millivolts par mètre, soit la valeur du champ créé par un seul électron à une distance de trois quarts de millimètre. Cette méthode permet d’envisager de détecter en seulement une microseconde un électron unique à une centaine de micromètres de distance. Ce travail est publié dans la revue Nature.

Au début de chaque séquence de mesure, une impulsion laser et un champ radiofréquence appliqués à un jet d’atomes très peu dense sortant d’un four permettent de porter un atome unique dans un état de Rydberg dans lequel l’électron externe a un mouvement orbital circulaire à grande distance du cœur de l’atome. C’est alors que les chercheurs préparent leur « chat de Schrödinger » : une impulsion micro-onde et un champ radiofréquence transforment cet état électronique en une superposition quantique de deux états correspondant à une orbite circulaire horizontale et à une orbite elliptique très inclinée, très sensible au champ électrique. L’électron sonde alors le champ électrique ambiant pendant une durée qui va de quelques dizaines à quelques centaines de nanosecondes, durant lesquelles les deux états de la superposition accumulent des phases quantiques différentes. Les chercheurs recombinent enfin les deux états avec une nouvelle impulsion micro-onde. La détection finale de l’état atomique permet de mesurer la différence des phases accumulée entre les deux composantes du chat de Schrödinger et de là, à en déduire la valeur du champ électrique vu par l’atome. La durée totale du processus – environ 300 microsecondes – permet de répéter l’opération trois mille fois par seconde. En soumettant les atomes à deux champs électriques ne différant que de 60 millivolts par mètre, les chercheurs ont caractérisé la sensibilité de leur méthode et le bruit expérimental qui est une limitation majeure dans ce type de mesure. Des améliorations du dispositif expérimental devraient permettre de détecter en seulement une microseconde un électron unique à une centaine de micromètres de distance, ouvrant la voie à des applications à la nanoélectronique. Des variantes de ces chats de Schrödinger atomiques pourraient également être utilisées pour mesurer de très faibles variations de champs magnétiques.

A sensitive electrometer based on a Rydberg atom in a Schrödinger cat state
Adrien Facon, Eva-Katharina Dietsche, Dorian Grosso, Serge Haroche, Jean- Michel Raimond, Michel Brune et Sébastien Gleyzes
Nature, le 14 juillet 2016

Contact : Sébastien Gleyzes

image : Représentation de la fonction d’onde de l’électron dans l’état « chat de Schrödinger ». L’électron est dans une superposition de deux trajectoires très différentes, ce qui le rend extrêmement sensible aux variations de potentiel induites par les champs électriques.

crédit image : Angèle Brune