Attraction de Casimir universelle entre filaments à l’échelle de la cellule

Des simulations numériques révèlent qu’une interaction à longue portée entre objets dans un fluide ionique, via les fluctuations du champ électromagnétique, joue un rôle important pour des objets filamentaires, ce qui devrait avoir des implications pour notre compréhension de l’auto-organisation des structures cellulaires.

Les fluides biologiques sont des milieux où les charges abondent, sous la forme de sels ou d’espèces moléculaires ionisées. Pourtant, il est communément admis que les interactions électromagnétiques ont une très courte portée effective dans la cellule, en raison de l’écrantage efficace des forces qu’un milieu chargé réalise à longue distance : grâce à une organisation spatiale des charges de signes opposés, le milieu apparaît à des échelles mésoscopiques comme essentiellement neutre, où les forces effectives d’origine électrostatique sont très faibles.

Dans un travail récent, une collaboration impliquant le laboratoire Gulliver, le Laboratoire Kastler Brossel et des collègues à UC Davis (USA), Jülich (Allemagne), l’EPFL de Lausanne (Suisse) et l’Université de Rio de Janeiro (Brésil) remet en question cette vision commune, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes pour la compréhension de l’organisation des milieux biologiques à l’échelle cellulaire. En effet, les auteurs montrent via des simulations numériques que certains modes électromagnétiques pouvant se propager dans le liquide ionique (les modes transverses) ne sont pas affectés par l’écrantage. Les fluctuations de ces modes sont responsables d’une interaction à longue portée appelée force de Casimir, récemment mesurée entre deux sphères diélectriques dans de l’eau salée. Dans cette géométrie, l’interaction ne dépasse cependant l’énergie des fluctuations thermiques naturellement présentes dans le liquide que lorsque les sphères sont très proches les unes des autres.

Figure : L’énergie de liaison de Casimir |F| est représentée en fonction de la distance de séparation d (nm) entre deux filaments d’actine ayant chacun un rayon de 3 nm et une longueur de 15 μm. La valeur de |F| est exprimée en unités de l’énergie thermique kBT, et la zone où |F| < kBT est ombrée en gris. Les énergies de liaison au-dessus de la zone ombrée devraient jouer des rôles importants, ce qui est le cas des faisceaux d’actine parallèles, que l’on rencontre dans les cellules, où les filaments sont séparés de 6 nm (marqueur rouge). L’encadré montre un schéma de deux filaments (bleu) dans un faisceau d’actine parallèle. Les cross-linkers sont représentés en rouge © B. Spreng et. al. et The New Journal of Physics (licence CC-BY 3.0).

Or, ce nouvel article étudie la géométrie de deux cylindres diélectriques dans l’eau salée, et les auteurs de ce travail montrent que l’interaction de Casimir est dans ce cas proportionnelle à la longueur des cylindres, ce qui lui donne une intensité beaucoup plus grande. Ainsi, l’énergie de liaison entre deux filaments parallèles d’actine dépasse largement l’énergie des fluctuations thermiques dans une situation pertinente du point de vue biologique, à savoir lorsque ces filaments sont regroupés en faisceaux au sein de la cellule.

De plus, cette interaction présente des propriétés d’universalité car elle ne dépend pas des propriétés diélectriques détaillées des filaments et du solvant, ce qui rend les résultats de ce travail applicables dans de multiples configurations d’intérêt biologique ou physico-chimique impliquant des structures cylindriques. La longue portée des interactions de Casimir est en effet susceptible d’avoir des effets importants sur la cohésion et l’auto-assemblage des structures filamentaires dans les environnements où elles sont présentes.

Ces résultats sont publiés dans la revue New Journal of Physics.

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