Expression du conseil de laboratoire et du conseil scientifique du LKB sur le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)
Expression du conseil de laboratoire et du conseil scientifique du LKB sur le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)
La LPPR propose un budget de 25Md€ sur 10 ans, d’ici à 2030. Ce budget rompt enfin avec les politiques d’austérité antérieures mais il reste très insuffisant aussi bien quantitativement que dans sa programmation très graduelle sur la période 2020-2030 : il ne permettra ni d’atteindre à terme l’objectif des 1% du PIB, ni d’initier dès maintenant le tournant nécessaire pour surmonter le décrochage scientifique de la France au niveau international.
La recherche menée au Laboratoire Kastler Brossel, comme dans de nombreux laboratoires français, doit son succès et sa visibilité internationale au travail sur le long terme et en équipe de personnels permanents, sur des thématiques originales et risquées. Cela n’aurait pas été possible sans un certain nombre de points forts du modèle actuel, que la France doit préserver. Ce système est mis en difficulté par manque de moyens et d’attractivité.
Un point fort et attractif du système actuel est le recrutement de jeunes chercheurs sur des postes permanents, avec un nombre de postes qui reste comparativement élevé et à un âge de recrutement plus bas que dans d’autres pays. Les jeunes permanents jouent un rôle essentiel au sein des équipes de recherche pour apporter des compétences complémentaires, pour préserver une expertise sur le long terme en limitant la perte de savoir-faire à la fin des contrats doctoraux et post-doctoraux, et pour assurer la qualité de l’encadrement des doctorants.
La LPPR prévoit l’introduction de chaires junior qui s’assimilent au modèle Tenure Track. La possibilité de recrutement sur de tels contrats, dans le contexte international, peut avoir des effets bénéfiques en ce sens qu’il propose une voie de carrière pouvant enrichir l’écosystème scientifique français, mais son efficacité devra être évaluée rapidement. Par ailleurs, la mise en place de cette voie de recrutement dans une démarche de mise en concurrence avec les chercheurs et enseignant-chercheurs permanents serait destructrice.
La LPPR propose de revaloriser les carrières des chercheurs et des personnels support, notamment en augmentant le salaire brut minimal des chargés de recherche et Maître de conférences à 2 fois le SMIC. Elle prévoit également la mise en place d’une dotation de démarrage pour que ceux-ci puissent démarrer leurs travaux au moment du recrutement. Nous saluons la direction de cet effort, mais il convient que la loi s’engage, d’une part, sur une revalorisation au-delà de l’échelon de recrutement et, d’autre part, sur le montant de la dotation de démarrage. Cette dernière correspond aujourd’hui à un montant de 5k€ pour un chargé de recherche et 10k€ pour un Maître de conférences, soit moins de 0.7% d’une ERC starting grant.
Il est aussi crucial d’améliorer l’attractivité des carrières et des métiers pour les personnels techniques et administratifs, dont le rôle est essentiel au bon fonctionnement des recherches menées dans les laboratoires. Notons à cet égard que la chute des recrutements sur postes permanents est particulièrement problématique pour le fonctionnement des équipes techniques et administratives.
La LPPR souhaite porter l’objectif de revaloriser le statut des doctorants non seulement au sein des organismes de recherche mais aussi dans toutes les sphères de la société. Nous saluons vivement cette volonté. Nous appuyons en particulier le projet d’augmenter de 30% la rémunération des doctorants et de 20% le nombre de contrat doctoraux. Cependant nous regrettons que le texte de loi ne propose pas de mesures concrètes pour encourager l’emploi des docteurs après la thèse.
Sur le plan des contrats de recherche, la LPPR prévoit d’accroitre le budget annuel de l’ANR de 1Md€ et d’aménager la durée des contrats correspondants afin de pouvoir se concentrer sur un projet pendant plusieurs années. Nous saluons ces objectifs même s’ils conduisent à des inquiétudes fortes sur le financement aléatoire du soutien de base des laboratoires. Nous regrettons l’absence d’engagement de la loi sur les plafonds de durée et de montants de ces contrats. En particulier, le texte de loi ne répond pas à l’une des faiblesses principales du système de financement actuel, un contrat ANR ne permettant pas de lancer des projets d’envergure ni de les soutenir dans la durée : d’une part le montant reste faible par rapport à ceux des ERC qui sont de l’ordre de 2M€, d’autre part l’ANR n’offre pas la possibilité de financer des projets portés par une seule équipe, qu’il s’agisse de projets innovants ou de la poursuite d’un projet ne nécessitant pas de nouvelle collaboration.
La réponse à ces questions ne réside pas dans des changements de statuts ou de voie de recrutement mais dans un investissement à hauteur de 1% du PIB, soit environ 50Md€ de plus que ce qui est prévu par la LPPR dans sa version actuelle. De plus, il est essentiel que cet investissement intervienne de façon tangible dès 2021-2022, sans quoi il sera difficile pour le monde scientifique de voir en la LPPR un engagement du gouvernement en place.
De ce point de vue, nous soutenons pleinement le communiqué du CESE paru le 24 juin 2020, qui appelle à renforcer significativement une programmation financière qui n’est pas à la hauteur des défis considérables auxquels la France doit faire face.
La grande majorité des personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur sont mobilisés pour tenir leurs engagements à servir la société par le progrès scientifique, qu’il soit sur de nouvelles applications technologiques ou dans une recherche fondamentale libre et motivée par la curiosité. Une recherche indispensable pour produire les découvertes les plus importantes, par nature inattendues. Dès lors, il incombe au MESRI de nous donner, enfin, des moyens d’être à la hauteur de nos compétences, et par conséquent, à la hauteur des défis scientifiques du 21e siècle.
Texte adopté le 26 juin 2020 par les conseils du laboratoire et scientifique du LKB
(25 pour, 0 contre, 3 abstentions)