L’ajustement des constantes fondamentales, un outil pour sonder le Modèle Standard

Les valeurs de constantes fondamentales telles que la constante de structure fine, la masse de l’électron ou du proton, la constante de Rydberg, sont déterminées grâce à diverses expériences de haute précision : spectroscopie ou interférométrie atomique, spectrométrie de masse, mesures de facteurs gyromagnétiques… Une constante ou une combinaison de plusieurs constantes peut être, selon les cas, déduite directement des résultats expérimentaux ou obtenue via une comparaison avec les prédictions de l’électrodynamique quantique (QED). Un ajustement global de l’ensemble des données expérimentales et théoriques disponibles, renouvelé tous les 4 ans par le CODATA, permet de déterminer les valeurs des constantes fondamentales.

Au-delà des valeurs des constantes, la qualité de cet ajustement représente un test fort de la cohérence de l’ensemble des données ainsi que de la solidité du modèle standard. Dans une collaboration internationale alliant des spécialistes de physique des hautes énergies et de physique atomique et moléculaire, nous avons pu aller plus loin et utiliser cette procédure pour sonder une éventuelle nouvelle physique [1]. Nous nous sommes intéressés à des extensions minimales du modèle standard comportant un boson supplémentaire, faiblement couplé aux particules du modèle standard (électrons, muons, quarks légers), qui serait le médiateur d’une « cinquième force ». A l’ordre dominant, cette nouvelle interaction est représentée par un potentiel dont la forme est bien connue (potentiel de Yukawa) et dont la portée est inversement proportionnelle à la masse du boson.

Figure : en violet, régions favorisées à 1, 2, 3 et 4 déviations standard par l’ajustement pour le modèle « ULD scalar ». Le point noir correspond à l’optimum de l’ajustement. mf est la masse de la nouvelle particule, et af la constante de couplage. Les autres régions colorées sont exclues par des expériences de physique des particules réalisées au CERN (vert: NA62, rose : NA64) ou à partir d’observations astrophysiques (gris: refroidissement stellaire). La ligne pointillée rouge est une extrapolation naïve de la contrainte déduite de l’expérience NA64.

 

 

La spectroscopie atomique ou moléculaire, qui contribue pour une part importante au jeu de données utilisé par le CODATA, est typiquement sensible à des interactions dont la portée est de l’ordre du rayon de Bohr – une grande distance à l’échelle de la physique des particules. Autrement dit, elle serait sensible à l’existence d’une nouvelle particule légère : le rayon de Bohr correspond à une masse de quelques keV, ou proche de 1 MeV dans le cas des atomes muoniques. En ce sens, ces recherches sont complémentaires de celles menées à beaucoup plus haute énergie (TeV) au CERN.

Nous avons donc reproduit la procédure d’ajustement du CODATA en ajoutant aux prédictions théoriques du modèle standard les décalages induits par l’hypothétique cinquième force, dont le coefficient de couplage est traité comme un paramètre ajustable. Plusieurs modèles représentatifs de la nouvelle particule (résultant dans différentes forces relatives des couplages aux électrons, muons et nucléons) ont été étudiés. Pour chaque modèle, l’ajustement fournit des contraintes fortes pour une large gamme de masses.

Plus intéressant encore, l’un des modèles étudiés améliore significativement l’ajustement, et est favorisé vis-à-vis du modèle standard au niveau de 5 déviations standard (voir Figure). Pour autant, il serait prématuré d’en conclure qu’une nouvelle physique a été détectée. Les imperfections constatées dans l’ajustement par le modèle standard proviennent de tensions entre plusieurs expériences participant à la détermination du rayon de charges du proton (spectroscopie de l’atome d’hydrogène électronique et muonique), qui pourraient être dues à des effets systématiques inconnus ou sous-évalués. Néanmoins, nos résultats démontrent que cette procédure d’ajustement global est un outil sensible de recherche d’une nouvelle physique légère.

[1] Self-consistent extraction of spectroscopic bounds on light new physics
Cédric Delaunay, Jean-Philippe Karr, Teppei Kitahara, Jeroen C.J. Koelemeij, Yotam Soreq, Jure Zupan
Phys. Rev. Lett. 130, 121801 (2023) https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.130.121801