Histoire du laboratoire Kastler Brossel

La fin du XXe siècle

 

En introduction, il faut mentionner la date de 1972 marquée par la retraite du directeur de recherche du CNRS : Alfred Kastler. Comme il continua à fréquenter assidûment le Laboratoire – et compte tenu de la « non-séparabilité » des deux responsables – cela ne changea en rien le quotidien. Peut-être, constata-t-on dans les rapports d’activité qui ont suivi, une accentuation plus nette de la structuration en équipes.

Une date qui a constitué une étape importante, fut l’année 1984. En effet, à l’automne 1983, nous retrouvions Alfred Kastler très fatigué par une insuffisance cardiaque qui s’aggravait et qui fut considérée, compte tenu de son âge, comme inopérable. Il se retirait alors à Bandol, chez son fils aîné Daniel (professeur de physique théorique à l’université de Marseille-Luminy). Il y décédait le 7 janvier 1984. Un an plus tard, un symposium était organisé conjointement par l’ENS et le CNRS (le département M.P.B. – Mathématiques physique de base – alors dirigé par Jean-Claude Lehmann). L’événement réunissait les 9, 10 et 11 janvier 1985, une centaine de scientifiques du monde entier, dont l’activité avait été en relation avec celle de Alfred Kastler. Le premier ministre de l’époque, Laurent Fabius, assistait personnellement à la séance solennelle de clôture qui se tint le samedi 12 janvier matin, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, en présence de plusieurs centaines d’étudiants.

Mais ce qui fit également de l’année 1984 un virage important pour le Laboratoire fut la retraite de son directeur, le professeur Jean Brossel. La structure perdait la même année ses deux pères fondateurs. Jacques Dupont-Roc reprit avec courage la direction de ce qui était encore le Laboratoire de Spectroscopie hertzienne de l’ENS. Parmi les petits changements produits par cette succession, on nota la mise en place d’un Conseil de laboratoire selon les règles du CNRS, qui n’existait pas auparavant. Mais la structure garda sa vitalité et ses possibilités d’essaimage et de renouvellement.

On note en 1986, le départ de Jean-Claude Lehmann vers la recherche de la société Saint-Gobain (après son passage à la direction du département M.P.B.). C’est son disciple, Jacques Vigué, qui le remplaça à la tête de l’équipe Collisions réactives jusqu’à son envol pour Toulouse avec Bertrand Girard, en 1990 et 1991. Gérard Gouédard, lui, intégra l’université de Cergy-Pontoise (Michel Broyer avait déjà rejoint Lyon, peu de temps après sa thèse). Michèle Glass resta la seule dans le laboratoire à s’intéresser aux molécules. Elle essaimera, à son tour, à la fin des années quatre-vingt-dix, pour prendre la direction du laboratoire de collisions de Jussieu, au cinquième étage de la Tour 12.

En 1987, ce fut l’essaimage de la plus grosse partie des équipes de Diffusion de lumière, pour former un nouveau laboratoire de physique statistique sous la direction de Pierre Lallemand, avec Jacques Meunier et Dominique Langevin. Dans un même temps, Anne-Marie Cazabat rallia le laboratoire de Pierre-Gilles de Gennes au Collège de France. Tandis que Claire Lhuillier gagna le Laboratoire de physique des liquides à Jussieu, dont elle prendra la direction quelques années plus tard.

En revanche, trois nouvelles équipes furent créées durant la même période :

  • L’équipe Optique non linéaire avec Gilbert Grynberg, revenant du laboratoire d’optique quantique de l’Ecole Polytechnique (Palaiseau) en 1983. Malheureusement, Gilbert sera rattrapé par la croissance d’une tumeur entrainant une cécité contre laquelle il se battit avec un courage extraordinaire, avant de décéder en 2003.
  • L’équipe Dynamique des systèmes coulombiens avec Jean-Claude Gay et Dominique Delande, créée la même année, mais dont le développement fut perturbé par la maladie et la disparition de Jean-Claude Gay, en 1992.
  • L’équipe Optique quantique avec Claude Fabre et Elisabeth Giacobino. Créée en 1986, elle joua avec la relation d’indétermination de Heisenberg pour réduire le bruit quantique de photons, puis fabriqua des photons jumeaux… L’importance et la variété des nouveaux thèmes qui s’ouvraient dans ce champ de recherche conduisirent rapidement à sa scission en deux groupes distincts.

 

Une constatation ressort clairement de toute cette histoire : l’évolution des thèmes de recherche depuis une vingtaine d’années avait conduit à une réduction drastique de l’emploi de radiofréquences. Les lasers fournissent maintenant des ondes électromagnétiques aussi cohérentes que les ondes radio dans les années cinquante, et offraient les mêmes possibilités d’applications. Ce fut l’une des raisons pour Jacques Dupont-Roc de préparer le changement de nom du laboratoire, qui devint à partir du 1er janvier 1994, le Laboratoire Kastler Brossel.

On avait signalé la disposition du Laboratoire à accueillir des femmes en son sein. La confirmation éclatante en avait été donnée par les choix des deux directrices suivantes : Michèle Leduc puis Elisabeth Giacobino. Cette dernière passa le relais à Franck Laloë, lorsqu’elle devint directrice du département S.P.M. -Sciences Physiques et Mathématiques- du CNRS, en 2001.

On ne développera pas avec autant de détails les quinze à vingt dernières années. On peut en effet considérer que celles plus proches de nous, ne sont pas encore tout à fait inscrites dans le passé. Leur histoire devra être écrite à leur tour un peu plus tard. Nous terminerons avec l’événement le plus important de cette dernière décennie : l’attribution en 1997 du prix Nobel à Claude Cohen-Tannoudji, trente-et-un an après Alfred Kastler. L’atome habillé a démontré sa puissance en permettant de calculer les effets subtils qui ralentissent les atomes, les refroidissent à des températures extrêmement basses (le millionième de degré), permettent de les manipuler de toutes sortes de manières, et de les encager véritablement dans des pièges de lumière. Cette histoire ne fait que commencer.

Le Laboratoire lors de l’attribution du prix Nobel à Claude Cohen-Tannoudji

Jean Brossel lors du symposium en 1984

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