Histoire du laboratoire Kastler Brossel

La formation du groupe dans les années cinquante

 

Kastler avait un jour demandé au photographe du département de physique de fixer, sur la pellicule, son groupe de recherche. C’était en décembre 1956, dans la petite salle de réunion habituelle (au 1er étage, en face du bureau de Brossel de cette époque, sur lequel le secrétariat du groupe s’est agrandi par la suite), on y voit Kastler et Brossel, entourés de six thésards : de la droite vers la gauche : Blamont, Pebay, Winter déjà mentionnés ; puis Jean-Pierre Barrat qui, dispensé de service militaire, commence ses études sur la conservation de la cohérence dans la diffusion multiple de la lumière, un effet « parasite » (observé par Blamont) qui semblait allonger la durée de vie des atomes excités et que Brossel avait fait confirmer dans le diplôme de Marie-Anne Guiochon).

Les relations régulières, à l’heure du thé, avec les théoriciens du groupe Lévy lui furent une puissante stimulation pour l’introduction dans le groupe Kastler de méthodes théoriques qui y étaient encore peu familières ; il calculera cette « durée de cohérence », plus longue que la durée de vie ( note 3). Il en fera sa thèse en 1959 et prendra bientôt un poste à l’université de Caen ; il créera avec son épouse Mireille Rambosson (« la diplomitive » de l’année 58) une équipe de spectroscopie hertzienne dans le laboratoire d’optique fondé par Pierre Giacomo et Jean-Louis Cojan.

De l’autre côté de Barrat, on trouve Henri Boiteux, qui s’intéresse à des sujets de spectroscopie plus traditionnels et qui rejoindra plus tard le laboratoire Aimé Cotton ; et tout à fait à gauche : Bernard Cagnac, juste rentré du service militaire, et qui s’apprête à produire l’orientation purement nucléaire du mercure, déjà annoncée dans l’article de Kastler de 1950. Les lampes à mercure, plates et ultra-minces, mises au point et soigneusement remplies par le souffleur de verre expert, qu’est Jean Brossel (avec des scellements sur quartz impressionnants), lui permettront d’y parvenir, d’observer les premiers phénomènes transitoires sur l’oscillographe et de soutenir sa thèse en 1960.

Sur la même photo, assises au premier rang, les composantes féminines du laboratoire : dans le même ordre de droite à gauche : Colette Julienne-Galleron, Françoise Boutron-Hartmann, Irène Brodschi et Marie-Anne Guiochon-Bouchiat. Irène Brodschi restera, jusqu’à la fin de sa carrière au CNRS, la responsable dévouée et efficace du secrétariat du laboratoire, grâce à qui tout fonctionne bien au quotidien. Les trois physiciennes n’en sont alors qu’au stade de leurs premiers travaux ; mais elles représentent la première étape d’une féminisation qui ne se démentira pas tout au long de l’histoire du laboratoire.

Marie-Anne Guiochon termine le diplôme dans lequel elle a confirmé les intuitions de Brossel sur le transfert de cohérence dans la diffusion multiple de la lumière de résonance (et qui seront définitivement établies par les calculs de Barrat). Marie-Anne reviendra dans le groupe, après l’agrégation puis un séjour aux U.S.A. (cf. annexe 2) pour préparer sa thèse sur la relaxation du rubidium, soutenue en 1964. Quelques études préalables de divers « diplômes » avaient mis en évidence l’amélioration du pompage par l’utilisation de gaz-tampon, qui diminue le nombre de collisions sur la paroi, ou par le changement de nature de la paroi (enduits de paraffines ou de silicones). Marie-Anne se consacrera au calcul détaillé des effets de la relaxation, c’est à dire de toutes les interactions, créées par l’agitation thermique, qui détruisent l’ordre créé par le pompage optique. Elle distinguera soigneusement les diverses observables quantiques, et réussira à tout vérifier et interpréter en détail. Les deux autres physiciennes se reconvertiront après leurs diplôme ou thèse de troisième cycle vers d’autres laboratoires (Colette en biophysique, Françoise en matière condensée). Sur cette photo manquent encore deux absents qui ont déjà passé leur première année de « diplôme » au sein du groupe, mais qui en sont temporairement éloignés par le service militaire ou la préparation de l’agrégation : Jean Margerie et Claude Cohen-Tannoudji (ce qui porte à onze le nombre de jeunes physiciens ou physiciennes qui se rattachent au groupe à cette date).

Jean Margerie fut chargé de mettre en œuvre une autre application du pompage optique, annoncée dans l’article de 1950 : l’application aux cristaux paramagnétiques. Pour cela il lui fallait importer dans le groupe les techniques lourdes habituelles en physique des solides, avec un cryostat à la température de l’hélium liquide, transparent à la lumière et pouvant prendre place dans l’entrefer d’un gros électroaimant, fournissant un champ magnétique élevé. Mais son courage et son obstination étaient à la hauteur de l’enjeu. Après sa thèse en 1965, il avait décidé de choisir la province, malgré tous les efforts de Brossel et Kastler pour le retenir ; et il alla rejoindre J.P Barrat à l’université de Caen. Il devint, par la suite, un des animateurs principaux du laboratoire d’Optique dirigé par Jean-Louis Cojan, avant de lui succéder.

Last but not the least, Claude Cohen-Tannoudji collabora avec J.P Barrat pour approfondir la théorie quantique de l’interaction lumière-atome dans le prolongement de la thèse de Barrat (ce sont les deux articles de référence au Journal de Physique, JP1 et JP2, de l’année 1961). Ils mirent au point le formalisme indispensable au calcul de l’interaction onde-atome, utilisant la matrice densité et ses termes croisés cohérents ; et faisant apparaître des termes complexes dont la partie imaginaire s’interprétait comme des déplacements de niveaux d’énergie. Curieux de vérifier la réalité expérimentale de ces « déplacements lumineux » de niveaux d’énergie, Claude Cohen Tannoudji les produisit intentionnellement sur la vapeur de mercure, et démontra l’exactitude de leurs calculs (ce qui permit d’expliquer aussi les « light-shifts » perturbateurs, observés à la même époque aux U.S.A. sur des transitions hyperfines – cf. annexe 2). Cela lui permit de soutenir en 1962 le mémoire de thèse où il donnait une présentation globale du formalisme introduisant la notion de cohérence hertzienne, et qui sera utilisé par tous.

En définitive les huit thèses d’état mentionnées ci-dessus, auxquelles il faut ajouter une bonne douzaine de diplômes d’études supérieures, étaient nécessaires pour balayer l’ensemble de ce qui était annoncé dans les deux articles de 1949 et 1950. Mais il faut aussi noter les nouveautés, non prévues, trouvées au passage par surprise en quelque sorte, mais rapidement interprétées par l’intuition de Brossel, comme les transitions multiphotoniques et la cohérence dans la diffusion multiple.

 

La fin du XXe siècle

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